
Bruno Cormerais, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous êtes MOF, animateur de l’émission « La meilleure boulangerie de France », entre ces deux métiers bien différents, un point commun : la recherche du « meilleur ». Alors, nous vous avons préparé une interview « meilleur ».
Meilleur… Tout est une question de temps : la notion ou le titre n’est pas quelque chose que l’on garde à vie… Allez, on y va.
Commençons au début de l’histoire, lorsque vous étiez enfant, aviez-vous cette peur de ne pas réussir à être le premier, étiez-vous motivé à l’idée d’être le meilleur
Absolument pas. Je suis issu d’un milieu très modeste et je n’avais pas un niveau exceptionnel au cours de ma scolarité. Ma chance – même si je ne crois pas à la chance – a été de partager de beaux moments culinaires avec ma mère et ma grand-mère. Je pense que c’est cela qui m’a donné envie d’intégrer cette corporation, de partager ce savoir. Aujourd’hui, je fais partie des Meilleurs Ouvriers de France, et je le dois probablement plus aux rencontres qui ont jalonné mon parcours qu’à la chance. J’ai côtoyé des personnes qui m’ont ébloui, donné envie, inspiré, fait rêver… Pour en citer quelques uns, je dirais Bernard Burban, chef au Ritz ou Patrick Castagna, Boulanger et Meilleur Ouvrier de France, mais il y en a eu d’autres. Quand on croise des personnes de cette envergure, ça vous bouscule, et ça donne envie de toucher les étoiles…
Quant à la peur… Enfant, je vivais à la campagne, alors oui, j’ai eu peur du loup, comme tous les enfants, mais je croquais la vie. Mes parents avaient un potager et la philosophie de vie qui m’a porté, c’est ce qu’ils n’avaient de cesse de me répéter : dans l’alimentaire, il y aura toujours à faire. C’est ce qui a fait vivre notre famille depuis plusieurs générations : mon arrière grand-mère était cuisinière chez les Rotschild. Peut-être que c’est dans la lignée de notre famille…
Ce qui est sûr, c’est que lorsque j’avais quinze ans, j’avais un Maître d’apprentissage extraordinaire, avec lequel j’ai acquis des valeurs fondamentales comme le respect des autres, le sens de l’effort et du travail. À cette époque, il fallait travailler un mois pour s’offrir une bicyclette, c ‘était l’ancienne école. Et ce sont ces valeurs qui m’ont forgé.
Le moment où vous avez découvert que votre exigence était une qualité qui pouvait vous mener loin
Je n’ai jamais vu cela sous cet angle. J’ai la sensation d’avoir laissé les choses de tisser, au gré des rencontres. J’aimais ce que je faisais, je me sentais guidé. Et aujourd’hui, c’est mon tour de transmettre. C’est le sens de l’histoire. Voilà pourquoi durant le confinement, j’a créé des tutos sur Youtube. Les gens se sont mis en cuisine, j’avais envie de les aider, de transmettre notre patrimoine. Maintenant, pour revenir à votre question sur l’exigence, je pense que c’est une notion qui n’existe que dans l’œil des autres. Aujourd’hui, je ne sais pas comment je me place, j’aime transmettre et j’exerce un métier que j’aime. Là sont mes certitudes. Les médailles, les titres, la rigueur… J’ai probablement acquis cela à l’armée où j’ai fait des choses que je n’avais jamais faites. Peut-être aussi auprès de ces maîtres qui m’ont formé. Ce sont ces moments et ces rencontres qui ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui.
La dernière action que vous n’avez pas menée car vous risquiez de ne pas être « le meilleur »
L’émission « La Meilleure Boulangerie de France ».
Lorsque M6 m’a appelé pour me proposer de participer à cette émission, je leur ai quasiment raccroché au nez. Je venais de m’installer et je ne me voyais pas du tout me mettre en avant dans une émission, quelle qu’elle soit. Ils ont insisté, ont demandé à me rencontrer pour une demi-heure. J’ai accepté et ils sont restés cinq heures. Ils m’ont convaincu, car au final, l’objectif de cette émission est de faire la lumière sur mon métier, sur la réalité du terrain. Nous montrons des boulangeries et des artisans. Alors si je peux aider à valoriser des personnes et un métier, ça me va. Voilà pourquoi j’ai dit oui.
Après, ils ont créé ce binôme, avec Gontran Cherrier, boulanger puis avec Norbert Tarayre, cuisinier, et je me suis trouvé sous les feux de la rampe, nous étions un peu comme Danny Wilde et Brett Sinclair… Je ne savais pas trop comment m’y prendre et le défi était là pour moi. J’ai toujours aimé être caché, sans photographe ni cameraman.
Mais ce qui m’a réellement permis de me confronter à ce défi, c’est l’entourage. Le fait d’avoir autour du moi des personnes que je respecte. C’est comme pour gagner une médaille aux Jeux Olympiques, c’est un travail d’équipe.
Pour le titre de Meilleur Ouvrier de France, c’est aussi les rencontres faites sur mon parcours qui m’ont mis sur les rails. Ce sont eux qui m’ont transmis la volonté et l’envie d’accomplir le travail personnel qui permet de sortir de l’ordinaire, d’avoir l’originalité qui permet d’arriver au niveau de ce concours si exigeant. Dans les faits, le concours se passe en loge et il faut travailler devant le jury. Dans les métiers alimentaires, cela se déroule sur dix huit heures, en boulangerie, sur vingt quatre heures. Tous ceux qui ont plus de seize de moyenne sont reçus au titre de l’un des Meilleurs Ouvriers de France. L’année où je suis passé, j’étais dans les cinq candidats reçus.
Mais le titre ne vaut rien si on ne le fait pas vivre au quotidien dans notre pratique. Ce n’est pas un titre ad vitam eternam. Si on ne lui donne pas vie, il n’existe pas. Alors, je vais insister sur un point dont j’ai déjà parlé, mais les rencontres sont cruciales, sans Bernard Burban, je n’aurais pas participé à ce concours. C’est une histoire d’hommes avant tout, de partage, comme on partage le pain lors d’un repas – c’est d’ailleurs l’origine du mot copain. C’est ça, ce métier, comme les vignerons, les chocolatiers… Des métiers qui possèdent un vocabulaire technique autour de la fermentation et de l’hygrométrie et qui demandent aussi un esprit innovant.

Le moment où vous avez réalisé que votre exigence et vos capacités de travail étaient un peu « hors normes »
Je n’ai pas vraiment eu ce « moment », ma carrière s’est déroulée dans une forme de continuité, une suite logique de tout ce que j’ai mis en place au fur et à mesure.
Par exemple, cette émission de la Meilleure Boulangerie de France part de cette association avec Gontran Cherrier puis avec Norbert Tarayre. Nous avons dû nous adapter l’un à l’autre et s’inspirer l’un l’autre. J’ai transmis à Norbert l’aisance par rapport à mon métier de boulanger, lui, a su me mettre à l’aise sur l’émission face aux caméras.
Et même si je ne crois pas à la chance, je dois dire que le fait d’avoir fait de la démonstration chez les boulangers dans ma jeunesse et d’avoir ce côté relationnel est un atout.
Le défi le plus fou, celui qui a mis votre savoir-faire et votre exigence à rude épreuve et dont vous êtes fier au bout du compte
Je n’aime pas vraiment être sous les feux de la rampe, je préfère être plus près de la nature. Alors l’idée de devenir un personnage public à qui on demande un autographe, j’avoue que ça me laisse un peu perplexe. Je suis fier d’avoir surmonté ma peur pour arriver à utiliser ce tremplin et faire reconnaître mon métier et les artisans boulangers qui le composent aux téléspectateurs, mais j’ai toujours un peu d’appréhension face à cette notoriété. C’est pareil avec les réseaux sociaux qui offrent à chacun la possibilité de juger…
Le mental est fondamental dans votre métier ou même dans vos métiers, une préparation est-elle nécessaire
Pour le concours du MOF je m’étais préparé en testant les recettes, en les modifiant à chaque essai. La difficulté dans notre métier est de créer la surprise, car le palais et l’œil s’habituent, les saveurs ne se révèlent pleinement que la première fois que l’on goûte une recette. Donc à chaque essai, on cherche à apporter quelque chose qui va rendre notre recette étonnante.
J’ai le souvenir de ce ferronnier qui avait participé au concours du Meilleur Ouvrier de France en 2004. Il avait proposé un garde corps en métal magnifique mais hors sujet, il avait pris le risque en privilégiant l’originalité et le savoir-faire et ça a payé, il a obtenu le titre. J’aimerais pouvoir faire découvrir tous ces métiers fantastiques que sont les métiers de la main.